Dans un contexte d’inflation, le sujet de la rémunération des fonctionnaires revient une fois de plus sur le devant de la scène. Si la revalorisation du point d’indice fait nécessairement partie de la boîte à outils des administrations, elle tend à reléguer au second plan d’autres questions majeures sur la rémunération des fonctionnaires. Celle de l’intéressement à la performance en fait partie.
Dans le secteur privé, l’intéressement à la performance est intégré à la question plus large du partage du profit. Toutefois, le terme de profit n’est pas facilement applicable au secteur public. Les trois fonctions publiques (Etat, territoriale et hospitalière) sont en effet des structures non-lucratives, dont le profit n’est donc pas un objectif.
Pour sortir de cette impasse, la clé est donc de se concentrer sur la notion de performance plutôt que sur celle de profit. Il faut d’ailleurs noter que la notion de performance dans les entreprises ne s’envisage pas que sous le prisme financier. On retrouve ainsi de plus en plus d’entreprises qui intègrent comme critères de déclenchement de leur accord d’intéressement des éléments de type RSE (promotion de la diversité au sein de l’entreprise, réduction de l’empreinte carbone…).
Se pose également la difficulté de partager une performance qui ne serait pas financière. Comment partager un gain qui ne serait pas quantifiable ? Des tentatives ont bien été faites pour mesurer en termes monétaires la valeur ajoutée des administrations, mais aucune d’entre elle n’est réellement parvenue à faire l’unanimité.
Il semble donc être nécessaire de ne pas s’éloigner du sujet de l’intéressement à la performance, qui semble nettement moins problématique que celui de partage du profit. On peut en effet envisager sans trop de difficulté que les administrations, à défaut de partager un résultat comptable, puissent inciter financièrement leurs fonctionnaires à contribuer davantage aux objectifs fixés.
Depuis 2019, la loi Pacte, puis la loi ASAP, ont marqué un tournant considérable dans le développement de la participation et de l’intéressement pour le secteur privé. Rien de tel n’a eu lieu dans la fonction publique.
Revenons ici sur les principaux dispositifs d’intéressement à la performance dans le secteur public :
Instauré en 2014, le complément indemnitaire annuel (CIA) est une prime de performance individuelle. Facultative, cette prime constitue un des deux volets du Rifseep (Régime indemnitaire des fonctionnaires de l’État), instauré par le décret n°2014-513 du 20 mai 2014.
Son utilisation reste cependant limitée puisque le CIA reste réservé aux fonctionnaires de l’Etat et qu’il ne peut pas dépasser 15% de leur part variable (qui elle-même ne représente en moyenne qu’un quart de leur rémunération).
Par ailleurs, cette prime n’est que rarement orientée vers l’atteinte d’objectifs précis et définis à l’avance. Elle ne constitue donc pas un levier d’action majeur.
Enfin, le caractère individuel de ces primes peut parfois venir à l’encontre de dynamiques de travail collaboratif, en intégrant des logiques de concurrence entre les agents. Pour cette raison notamment, ce dispositif n’est que très faiblement soutenu par les principales organisations syndicales.
Il existe, depuis 2011 pour les fonctionnaires de l’Etat et depuis 2012 pour les fonctionnaires territoriaux, des primes « d’intéressement à la performance collective ».
Les modalités d’attribution de ces primes sont définies annuellement par un comité technique. Elles peuvent être liées à :
- des indicateurs relatifs à la conduite des politiques publiques et à la qualité du service rendu ;
- des indicateurs relatifs à la maîtrise des coûts et à l’efficience des services ;
- des indicateurs relatifs à la gestion des ressources humaines ;
- des indicateurs relatifs au développement durable.
La prime peut être attribuée aux agents qui justifient d’une durée de présence effective d’au moins 6 mois pendant la période de 12 mois consécutifs. Son plafond est limité à 600€.
Le décret précise toutefois qu’ « en cas d’insuffisance caractérisée dans la manière de servir, un agent peut être exclu du bénéfice de la prime d’intéressement à la performance collective des services. ». L’atteinte d’objectifs collectifs prédéfinis est donc une condition nécessaire mais pas suffisante pour profiter de cette prime à titre individuel.
Très peu de chiffres permettent d’évaluer l’impact de cette prime mais il semble extrêmement limité. Le rapport Peny-Simonpoli (établi dans le cadre de la Conférence sur les perspectives salariales de la fonction publique) reconnait ainsi que « l’intéressement collectif ne joue que de manière extrêmement marginale dans la fonction publique, car peu de services sont concernés et car les plafonds de distribution sont très limités (600 € par an maximum contre une moyenne de 2 500 € par an dans le secteur privé) ».
Dernière arrivée dans l’univers des primes du secteur public, le décret n° 2020-255 du 13 mars 2020 a introduit une « prime d’engagement collectif » dans la fonction publique hospitalière.
Les modalités d’attribution de la prime d’engagement collectif sont décidées par le chef d’établissement. Cette prime doit récompenser les agents qui ont participé à un projet « ayant pour objet de favoriser la cohésion interprofessionnelle, la mobilisation des personnels autour de projets collectifs décidés au niveau des équipes et de valoriser l’engagement collectif dans ces démarches. »
Les montants attribués sont identiques pour tous les membres de l’équipe impliquée dans le dispositif, quel que soit leur statut, à condition que l’agent ait été présent pendant au moins la moitié de la durée de réalisation du projet. La prime peut être comprise entre 200€ et 1 200€.
Il est possible de participer à plusieurs projets. L’agent peut alors cumuler les primes, mais elles ne peuvent au total pas dépasser la somme de 1 800€.
Cette prime d’engagement est le pendant de l’intéressement de projet, qui existe dans le privé et qui a lui-même fait l’objet d’un remaniement profond depuis la loi Pacte pour le rendre plus souple et attractif.
Il est encore trop tôt pour disposer de chiffres sur l’efficacité de ce nouveau dispositif, mais il semble trop complexe pour pouvoir être efficace.
Au global, le bilan est plus que mitigé. Dans un rapport publié début juillet 2022, la Cour des comptes notait : « l’intéressement collectif dans la fonction publique est un levier qui mériterait d’être développé davantage, dans son quantum et son champ d’application. ».
Plus récemment, le sujet est revenu sur la table des négociations entre les syndicats et le ministère de la fonction publique sans que cela ne débouche sur une quelconque avancée.
Pour réellement s’imposer, l’intéressement à la performance collective doit s’affranchir d’un certain nombre de tabous. Car oui, l’incitation à la performance collective est possible dans les administrations.
Pour qu’elle puisse réellement se déployer, elle a cependant besoin d’un cadre nouveau :
- Il est nécessaire de disposer d’un dispositif clair et harmonisé entre les administrations (la création de la prime d’engagement collectif en parallèle de la PIPCS pourtant très similaire a créé de la confusion) ;
- Les critères de déclenchement doivent être plus lisibles pour les agents publics : ces critères sont aujourd’hui trop vagues pour être de véritables leviers de performance ;
- Les accords doivent être plus simples à mettre en place, avec une plus grande autonomie au niveau de l’organe administratif compétent et une durée de validité supérieure aux 12 mois actuels ;
- Le plafond de prime doit être relevé : son montant actuel de 300€ reste trop peu incitatif par rapport à ce qui se fait dans le privé ;
- Les règles doivent être harmonisées avec celles du secteur privé, notamment sur l’impossibilité d’exclure des bénéficiaires du champ d’attribution de la prime ou encore sur la durée d’ancienneté requise.
Le défi de l’intéressement à la performance collective peut être relevé, mais il nécessite pour cela une réforme ambitieuse.
Si vous souhaitez tout connaitre sur l’intéressement dans le secteur privé, vous pouvez également consulter notre fiche dédiée aux accords d’intéressement.